Le soleil inondait peu à peu Lisbonne, ses rayons accompagnant les habitants de la ville dans leur réveil. Nombreux étaient ceux à parcourir déjà les rues et ruelles de la capitale, débutant une longue et sans aucun doute fatigante journée. Une légère brise venue de la mer faisait flotter les drapeaux sur les murailles du château de Saint-Georges, où quelques gardes patrouillaient en regardant la ville, soulagés de savoir que bientôt d'autres les remplaceraient. Sauf que les bruits qui résonnèrent sur les lourdes pierres taillées ne furent pas ceux des pas sur le chemin de ronde. Des pleurs. Des pleurs d'enfant. Un des gardes, un type d'une trentaine d'années, bien constitué et dont les cheveux noirs s'échappaient de son casque, s'avança vers son compagnon. « J'espère que c'est un garçon. » La ville en effervescence n'attendait que ça depuis plusieurs jours maintenant, de savoir ce qui allait sortir du ventre de la reine Isabelle. Tout le royaume attendait, tout le royaume espérait un héritier à Alphonse V. Le deuxième garde, plus petit et atteignant bientôt la cinquantaine, un âge remarquable pour un garde, se gratta la joue, recouverte d'une barbe blanche bien entretenue, avant de répondre. « Nous le saurons bientôt, et puis tant qu'on m'jette pas dehors. » Mais la nouvelle ne tarda pas à retentir dans les rues de la capitale, annoncée par une nuée de crieurs, bientôt suivis par des messagers galopant à vive allure vers chaque coin du royaume. Un petit garçon était né. Artur, prince de Portugal, et ses cris envahissaient le château de Saint-Georges.

Héritier de tout un royaume, Artur passa une enfance stricte, le préparant à, un jour, succéder à son père sur le trône du Portugal. Ses moments préférés ? Les heures passées sur le sable du terrain d'entraînement, à apprendre le maniement de l'épée avec le vieux Ricardo, ancien général dans l'armée. D'une sévérité à toute épreuve, il mit son expérience, son talent et sa patience à rude épreuve avec Artur, dont il se rapprocha malgré tout. Le jeune garçon préférait en effet l'épée, l'armure et les bleus que les ennuyeux livres d'histoire ou les prières. Et que dire en ce qui concerne les chevaux ? Combien de fois Artur n'avait-il pas échappé à la vigilance de ses percepteurs pour se glisser en douce jusqu'aux écuries, avant qu'il ne s'échappe en trompe par les portes de la ville, devant les gardes ébahis ? Parcourant la région de fond en comble, il se rendait parfois dans les villages vêtu d'atours simples, se faisant passer pour un vulgaire bonhomme du peuple. Car si dès son plus jeune âge il dut faire face à l'éducation réservée aux princes et à toutes ses implications, Artur appréciait les choses simples de la vie : se promener dans le marché d'un petit village rural, s'acheter une pomme qu'il croquait en déambulant parmi les étals, boire une bière fraîche à l'ombre d'un arbre quelconque, observant des chevaux s'ébattre en liberté dans les champs. Mais toutes ces choses mettaient son père, le roi Alphonse V, le monarque ne supportant pas que son fils perde son temps en de "futiles occupations", selon lui réservées au peuple de basse classe. Car si Artur prenait à coeur son rôle d'héritier, il préférait vivre la vie au jour le jour, ne se souciant que peu des études et de la politique, préférant l'entraînement, la cavalerie et l'exploration de son royaume.

Les premières tensions entre Alphonse et son fils apparurent lorsque ce dernier commença à tenir tête à son père, et il ne fut pas rare que des cris de colère se fassent entendre dans les couloirs animés du château de Saint-Georges. Pour tenter de faire comprendre à son fils ce que son rang représentait, Alphonse envoya son héritier aux quatre coins du royaume, en tant qu'envoyé du roi. Parler avec les ducs et autres nobles, leur présenter les salutations de la couronne, les réprimer ou les avertir lorsqu'ils s'écartaient quelque peu du chemin voulu par le monarque, ce genre de tâches mêlant peu à peu Artur à la politique. Chose que l'héritier détesta immédiatement, ne prenant que peu de plaisir dans ces jeux de paroles et de menaces sourdes. Faisant pression sur son père, qui voyant là un moyen de tester son premier fils, Artur fut envoyé au Maroc, où le Portugal mène une guerre de conquête. Il participa à la conquête de la place forte de Ksar Sghir en commandait l'aile droite de l'armée portugaise, avant de revenir à Lisbonne auréolé de cette victoire. Au la surprise d'Alphonse, son héritier revint changé d'Afrique : plus mature, moins insolent, il se réveillait parfois au milieu de la nuit en sueur, après que des scènes de guerre lui soient apparues en songe. Les joies de la guerre.

S'il gardait ce côté bon vivant et accessible, Artur n'en devint pas moins un homme plus responsable, comme si la guerre lui avait fait comprendre que la vie n'était pas un simple jeu, que cela ne se résumait pas à des escapades à-travers les champs d'herbe haute. Il fut donc envoyé en l'an 1468 à Londres en tant qu'ambassadeur, mais également pour assurer la position du Portugal auprès de la couronne d'Angleterre. La raison ? Son arrière-grand-père, Jean I^er, avait pour reine Philippa de Lancastre. Ceux-ci restant des prétendants au trône anglais, Alphonse vit en son fils un moyen d'assurer la présence de son royaume auprès de la couronne d'Angleterre. L'alliance anglo-portugaise étant toujours de vigueur, Artur ne peut ouvertement soutenir les Lancastre dans leur ambition, même s'il préférait les voir sur le trône que qu'un roi York. Souverain dont il n'a toujours pas fait la connaissance.