«
Le roi est mort ! Vive le Roi ! ». J'entendais cette phrase depuis des heures. Elle me donnait mal à la tête. Je voulais absolument partir d'ici, rejoindre ma mère dans son hôtel dans le centre d'Édimbourg, quitter ce château où l'odeur de la mort s'insinuait en moi. Des larmes coulaient le long de mes joues rougies par le froid. Je le voyais là, étendu et immobile comme jamais il ne l'avait été. Mon père. Mon roi. Il avait tout du cadavre qu'il était et je me fis violence pour ne pas effondrer devant ce corps sans vie. Je mordais violemment les lèvres, serrais mes poings, pestais contre la justice de Dieu. Pourquoi nous – me- l'avait-Il enlevé ? Il était encore si jeune et nous, ses enfants, avions encore besoin de lui. Surtout moi, son aînée, sa bâtarde. J'avais besoin de sa protection, de l'amour que lui seul savait me procurer. Je sentais la présence de mes demi-frères et sœurs : Marie, Jacques, Marguerite et les autres. Certains comprenaient ce qui se passait, d'autres se contentaient de regarder la triste scène dans les bras de leur nourrice.
Des bougies lançaient de grandes ombres dans la chapelle. Je regrettais que ma mère ne soit pas là pour voir une dernière fois l'homme qui l'avait aimé de tout son cœur treize ans. Cependant, cela aurait fait scandale et la reine Marie ne l'aurait certainement pas accepté. Or, elle me tolérait moi, une fillette de onze ans qui n'avait rien à voir avec elle et dont tout le monde disait que j'étais le portrait exact de mon père. Durant toutes ces années, elle n'avait jamais montré un seul signe d'inimitié à mon égard. Et lorsqu'elle se retourna pour me regarder de ses yeux aussi noirs que l'enfer, je sus à ce moment précis que j'aurais préféré qu'elle me chasse. Elle respirait le désespoir et la tristesse. Elle avait de toute évidence aimée son époux et celui-ci avait aimé ma mère. Je ressentis soudain une grande pitié pour elle.
Puis ce fut la fin de la cérémonie. La reine Marie se leva, prit la main de ses aînés et partit de la chapelle, la tête haute, toute vêtue de noir. J'allais pour la suivre comme d'habitude, mais on me retint. Je levais mon visage et vis des gardes qui m'agrippaient de leurs grosses mains gantées. C'est à ce moment-là que je sus que ma vie de princesse allait changer. Je ne serais plus une princesse à moitié royale, mais une bâtarde.
«
Non, votre Grâce je vous en prie ! Non, s'il vous plaît ne faites pas ça ! »
Je tombais à genoux devant une assemblée aux regards sans pitié. Je fixais mon jeune frère, Jacques et le suppliais de ne pas commettre un acte aussi cruel qu'insensé. Depuis la mort de mon père il y a de cela quatre ans, je vivais un véritable enfer chaque jour. Entre les sévices que m'infligeait le jeune souverain et la cruauté dont faisait preuve sa mère, je m'étonnais encore d'être encore en vie. Je n'avais plus rien de l'enfant candide et joyeuse qui vivait à la cour auprès de son père. À présent, je résidais au château sous bonne garde comme une prisonnière et n'avais le droit de voir ma mère qu'une fois l'an. La peur et le doute s'étaient insinués en moi. Je n'étais plus que l'ombre de moi-même.
L'archevêque de Saint Andrews souriait avec sadisme tandis qu'il me voyait ramper aux pieds du trône pour réclamer que la vie de ma mère soit épargnée. On la soupçonnait injustement de vouloir renverser Jacques pour y mettre le nouveau roi Edouard IV sur le trône. Oui, elle était anglaise, mais jamais elle n'aurait voulu la mort du fils du seul homme qu'elle n'ait jamais aimé . Cela n'était en vérité qu'un odieux mensonge pour la mener à la mort. Personne ne l'avait aimé. Personne n'aime les femmes qui ont trop d'influence sur les hommes. Et Jacques se montrait bien plus cruel depuis le décès de sa mère. Alors, sans hésité il avait accepté l'idée du régent. Et je me retrouvais donc à marchander la vie de ma mère comme je le pouvais.
Jacques vint me rejoindre et m'aida à me relever. Je cru un instant qu'il acceptait de revoir sa décision, d'avoir une quelconque merci. Or, dès que je vis la lueur vicieuse dans son regard aussi sombre que celui de l'ancienne Reine, je compris que la partie était perdue d'avance. Il voulait me faire souffrir pour l'affection que notre père m'avait donnée et non à lui. Il avait beau être plus jeune, il me dominait d'une tête. Comment avait-on pu en arriver là ?
«
Grace, la putain que vous appelez mère a commis le crime de haute trahison et il est donc de mon devoir et de celui de l’Évêque Kennedy de l’exécuter pour montrer l'exemple. Quoi que vous disiez, elle sera exécutée demain matin à l'aube. Mais peut-être devrais-je également vous tuer ? Peut-être faites-vous partie du complot visant à me destituer de mon trône ?»
J'avais envie de lui cracher à la figure, de le gifler, de l'étrangler et de sentir le dernier souffle de vie s'évaporer de sa personne. Or, je ne fis rien de tout cela. Je me contentais de baisser humblement la tête et de murmurer, la voix étranglée par les sanglots qui me secouaient.
«
Non, votre Majesté, jamais je n'aurais fait une telle chose. Vous avez raison je suis ingrate et ma mère une traîtresse. Elle mérite de périr. Puis-je me retirer ? »
Il hocha la tête. Je quittais la pièce sans un regard pour quiconque.
Voilà plus d'un an que j'étais exilée en Angleterre. Une années de félicitée et de libération. Quand je suis arrivée, je n'étais alors qu'une petite chose fragile et brisée. La cruauté de Jacques ne s'arrangeait pas avec l'âge et alors que Marie m'avait toujours aidé, la voilà que elle aussi me tournait le dos. Quand il m'avait envoyé au-delà des frontières Écossaise, j'ai cru que mon cœur allait cesser de battre. Enfin, j'allais pouvoir respirer à nouveaux l'air pur du dehors après huit ans de réclusion. J'allais quitter cette terre qui avait vu la mort de mon père puis de ma mère. Je renaissais rien qu'à l’énonciation de cette nouvelle. Jacques avait cru que cela me peinerait, mais au contraire, en quittant la salle d'audience, j'avais ris de tout mon soul.
En cette belle journée de Mai, des joutes avaient lieu. J'étais dans les gradins, aux côtés des grandes dames de la cour. Le roi me portait en haute estime et j'admirais la reine autant que j'aurais pu le faire avec une mère. J'aimais ce pays, j'aimais ces gens. Ma vie d'avant me paraissait bien loin à présent. Or, des cicatrices persistaient et des cauchemars me hantaient encore. J'avais vécu le pire et le meilleur risquait de m'arriver. En effet, j'étais fiancée au frère même d'Elizabeth Woodville et il me semblait que j'arriverais peut-être à ressentir à nouveaux ce qu'était l'amour. Il était bienveillant et sympathique envers ma personne et même s'il ne m'aimait pas, je priais pour que cela fusse dans un jour prochain. Pour l'instant, je restais donc de glace, souriant pour cacher la détresse qui me collait à la peau.
Soudain, il s'approcha de moi et me tendis sa lance. Richard me sourit et j'en fis de même avant d'attacher mes couleurs sur sa lance.
«
Ma dame, j'espère gagner pour vous. » me dit-il.
Je sentis mon cœur battre à tout rompre, mais je restais droite, imperturbable. Je restais sur mes gardes. La vie m'avait montré que du jour au lendemain, tout pouvait changer. J'aspirais au bonheur, or rien n'étais plus difficile. Après quelques secondes de battements, il partit enfin rejoindre sa place. Le signal retentit et dans une course effrénée, il arriva à frapper son adversaire avant que ce dernier de l'atteigne. Dans un élan, tout le monde se leva et applaudit le vainqueur, moi la première.