Reading palace, February the 17th, 1469.
My dear lady Katherine,
Il est déjà plus de dix heures, et pourtant nous venons à l’instant même de franchir les portes du palais de Reading où le roi et la reine ont l’intention de séjourner quelques temps. J’ignore combien de temps nous resterons avant de retourner à Londres, mais je vous prie instamment de ne point vous hâter de quitter Warwick Castle : je sais à quel point votre désir de passer quelques semaines au château familial était ardent e me refuse à vous en priver aussi rapidement, alors que votre dernière lettre à mon adresse était si enthousiaste. Saluez bien votre sœur Alice de ma part, car il y a longtemps qu’on ne l’a point vue à la cour. Votre frère Richard me prie de bien vouloir vous adresser ses salutations respectueuses, voilà qui est fait. Il est actuellement avec Sa Majesté Edward et ses frères, et je ne tarderai pas à les rejoindre.
Brave Edward, qui ne s’arrête jamais une minute dès que les affaires d’Etat sont en jeu. Je crois même qu’il en tomberait malade si la reine ne lui rappelait pas de temps à autre qu’il doit manger ou se reposer ; lord Warwick n’est guère un exemple à suivre, étant lui-même un infatigable travailleur, c’est une qualité que je veux bien lui reconnaître. Néanmoins je sais d’expérience que ce n’est pas Warwick qui lui a donné le goût du travail ; d’aussi loin que je me souvienne (et vous savez que je connais le roi depuis fort longtemps) il a toujours été ainsi, énergique, dynamique et combatif. Parfois impétueux et téméraire, mais Dieu soit loué il a toujours eu de bons gardiens pour veiller sur lui, n’est-ce pas ? Vous qui m’avez maintes fois entendu raconter ces anecdotes de notre jeunesse, alors que je n’étais qu’un tout jeune homme qui venait d’entrer au service des York, et notre roi un enfant bien loin de ces royales considérations…
J’avais seize ans lorsque mon père, Sir Leonard Hastings, m’emmena avec lui au château des York afin que j’entre au service de la famille comme lui avant moi. Après tout, j’étais l’aîné de la famille, et il fallait que je montre l’exemple à mes trois frères et mes trois sœurs. Je me souviens que je prenais très à cœur ce rôle d’aîné, et j’eusse préféré mourir que de décevoir ou baisser dans l’estime d’un de mes cadets. J’ai toujours eu des difficultés à m’entendre avec Richard, né deux ans après moi, qui jalousait terriblement le favoritisme affiché de mes parents à mon égard ; mais mes deux frères suivants, Ralph et Thomas, envisagèrent plutôt la chose comme un défi et n’eurent de cesse d’essayer de me « rattraper » et de prouver leur valeur, ce qu’ils firent par ailleurs brillamment. Quant à mes sœurs, Elizabeth, Anne et Joan, je crois qu’elles m’ont toutes toujours voué une grande tendresse et ne s’en sont jamais cachées, à part peut-être Joan qui a toujours été plus secrète et farouche que les autres. Heureusement, ma mère Alice Carnoys, fille du premier baron Carnoys, avait un sens maternel très développé et a toujours su comment prendre Joan qui est grâce à elle devenue une jeune fille des plus respectables. Il faut d’ailleurs que je réponde à Sir Watson, qui m’a écrit comme vous le savez pour proposer des fiançailles entre Joan et son propre fils.
Seize ans, comme je vous le disais, et prêt à rejoindre le service de la maison de York qui sont nos lointains cousins. On m’assigna au service d’un des frères d’Edward, mais rapidement c’est avec ce petit garçon d’à peine sept ans que je nouai de véritables relations. Il me plaisait par son énergie, sa joie de vivre, mais aussi son application à son apprentissage et son intelligence. Je devins son partenaire de jeux et d’entraînement au même titre que celui de son frère, pendant que dans le monde des adultes, l’on décidait de la guerre… Les York et les Lancaster se disputaient déjà la couronne depuis plusieurs années, et la situation n’allait guère en s’améliorant, loin de là.
Quelques années s’écoulèrent plus ou moins paisiblement à Rouen où mon père et moi avions suivi les York, lui au service de Richard Plantagenet père, moi toujours à celui des deux garçons. L’année 1455 marqua un terrible tournant pour nous tous : mon père mourut le 20 octobre de cette année-là, et Henry VI parvint à reprendre le trône d’Angleterre. Forcés de retourner en Angleterre pour nous soumettre au nouveau roi, nous rentrâmes à York où je fus récompensé pour mon dévouement aux jeunes Plantagenet en étant nommé High Sheriff of Warwickshire et High Sheriff of Lancastershire, cette dernière fonction m’étant offerte en héritage avec les possessions de mon père. Ce fut le début de ma carrière : j’avais alors vingt-quatre ans et j’étais le nouveau chef de note famille, avec ma mère, mes frères, et mes sœurs à protéger. Je parvins sans difficulté à concilier mes nouvelles fonctions avec celles qui m’occupaient chez les York, et ce pendant les quatre années que durèrent la fragile paix instaurée par la fin des conflits. Néanmoins, une sorte de pressentiment m’avertit que nos déboires avec les Lancaster étaient loin d’être terminés. Ces guerres de pouvoir, ma chère Katherine, sont des tourbillons sans fin qui ne s’arrêtent que lorsqu’il n’y a plus personne pour poursuivre la lutte.
Il fallut à peine quatre ans pour que reprennent les hostilités. A l’image des York, je fus déclaré traître à la couronne (certainement à cause de mon indéfectible attachement à cette famille) et destitué de mes terres, et ma famille ne dut le salut qu’à la bonté d’un frère de ma mère qui accepta aussitôt de les accueillir chez lui près des frontières écossaises, loin de la fureur des Lancaster. Une fois encore, je suivis les York : Richard Plantagenet m’avait officiellement assigné à la protection de son fils Edward sous le commandement de lord Salisbury. Du haut de mes vingt-neuf ans, j’étais prêt à offrir ma vie sur un plateau à cette famille qui était le seul espoir pour ma famille et moi-même de retrouver une vie décente en Angleterre, de mettre fin à notre exil forcé, et à notre séparation. Ces conflits depuis la France m’ont laissé un goût très amer dont je me souviens encore aujourd’hui alors que presque dix ans ont passé ; heureusement, mon jeune frère Richard était plus que capable d’assurer la sécurité de nos cadets, de nos sœurs, et de notre mère.
Les conflits durèrent presque toute une année ; vous devez vous en souvenir, puisque votre frère a été avec nous tout du long. Une année de batailles incessantes, une année à parcourir les routes par tous les temps, à marcher par-dessus les cadavres qui jonchaient notre chemin et laisser nos empreintes de pas dans la terre qui se gorgeait du sang versé. Vous le savez ma chère Katherine, je suis un combattant et ne recule jamais devant la lutte : mais l’Angleterre n’a que trop souffert, saignée à blanc pour un trône sur lequel personne ne savait qui mettre. Nos hommes étaient épuisés, et nous aussi. Dieu merci, Edward, Warwick et moi-même avions assez d’épaules à nous trois pour soutenir nos troupes lasses et meurtries. Permettez-moi de vous épargner le récit des batailles : même avec Edward, nous évitons de ramener ces vieux souvenirs à la surface. Nous avons beau être des guerriers, voir ses amis et ses frères tomber au combat sous l’assaut des Lancaster restera une épreuve dont on ne se relève pas intact. Que la bataille de la Croix de Mortimer reste enfouie dans les mémoires, et nous ne nous en porterons que mieux.
Le 4 mars de l’année 1461, Edward était enfin en mesure de se proclamer roi, un jour donc je conserve un vif et agréable souvenir, puisqu’il était supposé marquer la fin des conflits. Toujours aux côtés d’Edward, je fus envoyé vers mes terres afin de sécuriser le Warwickshire et le Lancastershire dont j’avais autrefois la charge en tant que shériff. Je réussis si bien à cette tâche que quelques temps plus tard, Edward me fit chevalier… sur le champ de bataille, juste après la bataille de Towton ! Nous gagnâmes, et enfin, Edward fut officiellement couronné, et un semblant de paix revint sur Londres et sur l’Angleterre, que je sentis presque pousser un long soupir de soulagement.
De retour à Londres, Edward fit de moi l’officier que vous connaissez aujourd’hui. Je fus appointé Master of the Mint ainsi que Lord Chamberlain, ce qui fit aussitôt de moi l’un des hommes les plus importants de son nouveau gouvernement et du royaume. Je crois que c’était sa manière à lui de me remercier pour mes longues années de bons et loyaux services, car en plus de dix ans de batailles je n’avais à aucun moment quitté son côté, et je l’avais assez satisfait pour qu’il m’accorde son entière confiance en me confiant deux postes aussi élevés. Je m’amuse encore de songer que quelques années plus tôt, je n’étais qu’un fils de petite famille sans prétention et que jamais personne n’aurait songé me donner sa fille en mariage ; et voilà que moins d’un an après le couronnement d’Edward et la prise de mes nouvelles fonctions, ainsi que mon adoubement, c’est vous que l’on me propose comme épouse, Katherine… Lord Warwick n’avait pas manqué de voir quels avantages il pourrait tirer d’une union entre sa cadette et un homme de ma position, s’assurant ainsi le support du lord Chamberlain en cas de problème avec la couronne très certainement… Mais vous le savez Katherine, je reste loyal à Sa Majesté quelle que soit la direction que prendre mon beau-frère, nous nous sommes suffisamment querellés à ce sujet-là ! Soyez assurée néanmoins, qu’en vous épousant j’ai accepté de faire mienne la famille Neville : je suis heureux de pouvoir appeler Richard un frère, de même que toute votre fratrie, et mes nièces savent, je l’espère, qu’elles peuvent compter sur moi si leur père était impuissant à leur venir en aide en quelque affaire que ce soit. Comme je l’ai promis à Richard ainsi qu’à vous, je veux de toute mon âme servir et protéger la famille Neville ; à condition que ses prérogatives n’aillent pas à l’encontre de Sa Majesté. C’est là ma seule condition.
Vous rappelez-vous combien vous étiez radieuse, le jour de nos noces le 6 janvier 1462 ? Ce jour-là je fus probablement l’un des hommes les plus heureux du monde : j’avais tout ce qu’un homme de cour peut désirer, des titres, de hautes fonctions, des amis puissants et fidèles, la confiance du roi, et à présent, une épouse jeune, des plus charmantes, et dont j’avais déjà pu apprécier le caractère lors de brèves rencontres destinées à sceller nos fiançailles. Deux ans plus tard vous me donniez un premier fils, Richard, qui hélas nous quitta alors qu’il venait de dépasser sa première année. Moins d’un an plus tard naissait William, qui ne survécut que quelques jours. Enfin, il y a trois ans, vous m’avez comblé de bonheur en me donnant deux héritiers, Edward et Richard, qui par la grâce de Dieu sont les plus adorables et les plus parfait des petits garçons. Je prévois pour eux de grandes choses, ainsi que pour leur futur petit frère ou leur future petite sœur que vous portez à présent.
J’ai toujours considéré notre mariage comme une réussite, quoi que nous puissions en dire lorsque nous nous insultons mutuellement au sujet de votre frère. Je ne remettrai pas ce sujet sur le tapis, afin de ne pas recevoir une lettre incendiaire en réponse à celle-ci, mais vous savez ce que je pense de ses manœuvres pour garder un total contrôle sur Edward. Le « Kingmaker » a des difficultés à se séparer de sa créature devenue indépendante, semble-t-il ! Aujourd’hui encore il paraissait grognon, et je suis prêt à parier qu’Edward ou la reine lui ont refusé quelque chose. Votre frère m’inquiète, Katherine. Si jamais il dépassait les limites, les conséquences pourraient être terriblement dramatiques, et ce pour tout le royaume. Je prie Dieu chaque jour pour qu’il reste raisonnable et ne franchisse pas la ligne, et vous devriez agir de même, au lieu de le défendre coûte que coûte en me traitant de traître, de lâche et de vendu (ce à quoi je vous réplique que vous êtes une irresponsable, une hystérique, et autres amabilités mais passons, je vous sais de caractère assez affirmé pour résister à mes attaques). Nos enfants semblent s’interroger sur nos disputes et s’en inquiéter : aussi je vous implore de revenir à la raison, au moins pour eux. Je sais que j’ai raison et que vous avez tort, je vous laisse donc prendre la décision qui conviendra (et je réalise à cet instant même qu’en disant cela, je m’assure une bordée de malédictions de votre part. Tant pis, ce ne seront ni les premières ni les dernières, certainement !). Je vous, ou plutôt je nous connais assez pour savoir que lorsque le temps viendra, nous saurons trouver un terrain d’entente comme nous l’avons si bien fait autrefois, au début de notre mariage.
Il est temps pour moi d’achever cette missive qui n’est déjà que trop longue et d’aller rejoindre le roi et mon beau-frère pour le Conseil. Demain, nous avons un banquet pour fêter notre arrivée à Reading –en votre absence j’y conduirai la jeune Jane Shore, cela l’amusera certainement et j’aurai plaisir à converser avec elle durant le repas ; c’est une jeune fille vive et intelligente, et pour ne rien gâcher, plus belle qu’une rose. Je sais que vous n’appréciez guère que je parle d’elle en termes si affectueux, mais vous me connaissez assez bien pour savoir que si je ne dédaigne pas de poser les yeux sur une jolie femme, je n’en délaisse jamais mes devoirs de père ni de mari.
Il est temps de partir ; lady Katherine, donnez-moi de vos nouvelles et écrivez-moi lorsque vous quitterez Warwick Castle pour nous rejoindre avec les enfants. Je viendrai à votre rencontre e vous escorterai jusqu’ici. Vos appartements vous attendent. Je baise un millier de fois vos blanches mains, d’ici elles ne peuvent pas me griffer !
Sir William Hastings, 1st baron Hastings, Lord Chamberlain.